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« Chant choral et éducation populaire » : repères et perspectives

Dans le cadre du week-end des membres, A Cœur Joie a proposé le 5 avril 2025 une table ronde pour interroger les liens entre chant choral et éducation populaire. Autour de Côme Ferrand-Cooper, deux intervenants ont partagé leur expertise : Emmanuel Porte, historien et spécialiste de l’éducation populaire, et Guillaume Lurton, sociologue et fin connaisseur du monde choral amateur.

Leur dialogue a permis de revisiter les fondements de nos pratiques chorales, de mieux comprendre les tensions à l’œuvre et d’imaginer des pistes pour l’avenir. Voici une synthèse en quatre grands axes qui ont structuré cette réflexion.

 

Ecoutez l’audio intégral de cette rencontre en cliquant ici :


20250405 educ pop chant choral conference

 


Résumé de la table ronde

Une ouverture à tous, au-delà des discours

La pratique chorale a toujours porté une ambition démocratique. Dès les orphéons du XIXe siècle, il s’agissait de « faire chanter le peuple ». Mais aujourd’hui, cette ouverture à tous ne va plus de soi.

Elle ne se limite pas à une question de coût ou d’accessibilité logistique : elle implique de reconnaître la diversité des trajectoires, des niveaux, des envies. Cela suppose de sortir d’une logique de sélection ou de formatage, et d’accepter que chacun progresse à son rythme, dans un cadre collectif.

Guillaume Lurton rappelle que cette cohabitation d’attentes très diverses dans un même chœur est source de tensions : entre les plus expérimentés et les débutants, entre ceux qui cherchent la performance et ceux qui viennent pour le plaisir. Il s’agit moins de résoudre ces tensions que de les accompagner lucidement.


Une activité profondément pédagogique

Le chant choral, dans une perspective d’éducation populaire, n’est pas une fin en soi : c’est un moyen de transmission, de progression, d’émancipation. Emmanuel Porte souligne que cette pédagogie s’inscrit dans une longue histoire d’approches actives, issues de Montessori, Freinet, Dalcroze, ou, en ce qui nous concerne, César Geoffray.

La transmission ne se fait pas seulement du chef vers les choristes. Elle peut être horizontale, entre pairs. Cette approche suppose une posture particulière du chef de chœur, qui n’est pas seulement un technicien ou un artiste, mais aussi un pédagogue, parfois un animateur.

Or, comme le souligne Guillaume Lurton, les formations actuelles en direction de chœur ont tendance à affaiblir cette dimension pédagogique. D’où la nécessité de repenser les modalités de formation des chefs, pour renouer avec une approche plus collective et accessible.


Le chœur comme espace d’expérimentation

Un des apports majeurs de l’éducation populaire, tel que rappelé par Emmanuel Porte, est de permettre à des groupes de s’autoriser à faire autrement, à expérimenter en dehors des normes scolaires ou marchandes. L’espace associatif, notamment dans le champ culturel, offre une liberté d’agencement, un terrain propice à l’invention collective.

Guillaume Lurton prolonge cette idée en soulignant les tensions internes au champ choral : certaines institutions valorisent avant tout le projet artistique, la qualité ou la légitimité professionnelle du chef, au détriment parfois de la dynamique collective et du plaisir de chanter ensemble. Cette orientation pèse sur les chorales amateurs, souvent sommées de justifier leur légitimité culturelle ou leur valeur pédagogique par la présence d’un artiste ou d’un professionnel rémunéré.

L’expérimentation, dans le cadre associatif, n’est donc pas qu’un levier artistique : elle est aussi un acte de résistance face à des logiques d’homogénéisation des pratiques. Elle permet de défendre la diversité des formes d’engagement choral, du chœur de quartier à la chorale militante, en passant par les formats intergénérationnels ou les projets sans finalité artistique formelle.


Une citoyenneté active à cultiver

Enfin, le chœur, parce qu’il est association, est un lieu d’apprentissage de la citoyenneté au quotidien. Organiser une répétition, co-construire un projet, prendre une décision collective, accueillir des nouveaux : tout cela relève de pratiques démocratiques. L’éducation populaire les valorise comme telles.

Le chant choral peut aussi, dans certains cas, devenir un acte politique assumé. Guillaume Lurton note un regain d’intérêt pour les chorales militantes ou engagées, souvent en dehors des cadres institutionnels. Cette dimension peut coexister avec d’autres approches, plus récréatives ou artistiques.

L’important est de reconnaître que toute pratique chorale porte une vision du vivre-ensemble, explicite ou non.


Et après ?

À la lumière de cette rencontre, A Cœur Joie réaffirme que ses engagements statutaires autour de l’éducation populaire ne sont pas un héritage du passé, mais une boussole pour l’avenir. Cette réflexion invite à documenter les initiatives inspirantes, à outiller les chefs et les chœurs, et à défendre une diversité de modèles où chacun peut trouver sa place — du chœur militant au chœur de quartier, du projet ambitieux au simple plaisir de chanter ensemble.

 


Synthèse de l'après-midi

L’après-midi s’est prolongée avec des ateliers participatifs impliquant plus de cents participants, dont les membres du CNJ. Sabine Pepinster, Présidente du Pôle A Cœur Joie Ile de France, a accepté d’en proposer une synthèse rapide.

 

 

1. Principaux thèmes abordés :

 

1.1 Lien historique entre chant choral et éducation populaire

  • Ancrage dès la Révolution française : accessibilité, émancipation par le collectif. 

  • Dualité : pratique artistique vs. loisir (majoritaire aujourd’hui) vs. dimension militante (chorales engagées).

  • Défi : Concilier ouverture à tous (amateurisme inclusif) et exigence artistique (conservatoires, projets ambitieux). 

1.2 Pédagogie et transmission

  • Priorité : pédagogies actives (Montessori, Freinet, Dalcroze, César Geffray) basées sur l’expérience plutôt que la certification. 

  • Enjeu : 80 % des choristes ne lisent pas la musique → besoin de former sans élitisme. 

  • Outils possibles : fichiers audio pour l’apprentissage, travail en pupitres, ateliers intergénérationnels. 

1.3 Rôle social du chœur

  • Intégration : témoignages du CNJ et de chorales locales sur la cohésion (ex. migrants, handicap). 

  • Émotion collective : « On repart avec une émotion partagée » → valeur ajoutée vs. pratique solo. 

  • Fragilités : publics seniors, difficultés à renouveler les bénévoles. 

2. Tensions Identifiées

Si on imagine une ligne partant de gauche à droite et un curseur qui se promène au milieu, on peut identifier plusieurs points de tension :

  • Ouverture versus exigence

  • Tradition versus innovation

  • Individu versus collectif

  • Projet artistique versus projet associatif

  • Pratique individuelle versus pratique collective

Il appartient à chacun et à chaque chœur de placer le curseur sur cette ligne et de le déplacer en fonction des évolutions.


3. Solutions proposées par les adhérents

3.1 Citoyenneté et bénévolat


  • Chartes d’engagement musical et associatif. 

  • Rencontres intergénérationnelles (ex. week-ends jeunes/seniors). 

  • Co-direction (ex. chœur Why Notes avec 3 chefs). 

 

3.2 Ouverture à tous

  • Accueil bienveillant : féliciter les nouveaux, valoriser les progrès. 

  • Soutenabilité : adapter les répertoires aux non-lecteurs (oralité, outils numériques). 

 

3.3 Expérimentation artistique

  • Impliquer les choristes :

    • Faire diriger un morceau par un membre. 

    • Tester des arrangements créés par les chanteurs (ex. "monstres classiques en jazz"). 

  • Nouveaux formats : flash mobs, projets collaboratifs (ex. comédies musicales). 

  • Observer et ajuster : filmer les répétitions pour améliorer la dynamique. 

3.4 Pédagogie adaptée

  • Formations hybrides : pour chefs (gestique, gestion de groupe) et choristes (technique vocale). 

  • Activités complémentaires : danse, percussions corporelles pour diversifier l’approche. 


4. Analyse et perspectives

4.1 Forces

  • Capital humain : témoignages forts sur l’impact social (intégration, bien-être). 

  • Créativité : idées concrètes pour moderniser les pratiques (ex. co-direction, répertoires hybrides). 

4.2 Points d’attention

  • Fracture générationnelle : difficulté à attirer les jeunes et à faire coexister seniors/nouveaux. 

  • Ressources limitées : manque de temps/bénévoles pour mettre en œuvre les innovations. 

4.3 Quelques idées

  • Documenter et partager les résultats (vidéos, guides) des chœurs dirigés à plusieurs chefs (ex. Why Notes)

  • Création d’un kit « Éducation populaire & chant » avec des fiches pratiques pour les chefs (pédagogie inclusive, gestion du collectif). 

  • Partenariats à développer :

  • Collaborer avec des MJC ou les CEMEA pour toucher de nouveaux publics. 


Conclusion rationnelle

Les échanges ont révélé une richesse de pratiques mais aussi des tensions structurelles (art vs. loisir, tradition vs. modernité). L’association pourrait capitaliser sur son ADN d’éducation populaire*en : 

  • Formalisant les bonnes pratiques (ex. chartes). 

  • Encourageant l’expérimentation via des appels à projets locaux. 

  • Raconter son impact (témoignages, vidéos) pour attirer partenaires et adhérents. 


Conclusion émotionnelle

En guise d’illustration de nos échanges de l’après-midi, samedi soir, j’ai perçu ce que le chant choral pouvait apporter.

L’incroyable beauté, l’émotion profonde, l’énergie bouillonnante, l’imprévu, le bonheur de chanter ensemble et, pour le public, de partager un moment de tendre communion qui fait se serrer la gorge, battre le cœur et pour tout dire, se sentir vivant parmi ses compagnons en humanité.

Accueillons ce que la vie nous offre et célébrons le bonheur d’être ensemble.

Merci à A Cœur Joie de permettre cela.


Sabine Pepinster

Présidente du Pôle A cœur joie Ile de France

« Grand témoin » des échanges sur l’éducation populaire

 

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